C’était l’expo en 2016 à ne pas rater: la collection Chtchoukine à la Fondation Louis Vuitton. Pourquoi ? Parce qu’elle a réuni pour la première fois à l’extérieur du musée originel une concentration exceptionnelle d’oeuvres des plus grands maîtres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. 29 Picasso, 22 Matisse, 12 Gauguin, le célèbre "Déjeuner sur l’herbe" de Monet, sans compter les Van Gogh ou les Cézanne. Non, ce n’est pas la collection d’un musée, mais celle EXCEPTIONNELLE d’un seul homme ! Riche industriel russe, Sergueï Chtchoukine constitue, entre 1898 et 1914, une collection d’art moderne des plus emblématiques. Comme l'autre grand collectionneur russe d'art moderne Ivan Morozov, il est issu d'une lignée de marchands installée à Moscou. Sous l'influence de son jeune frère Ivan, installé à Paris où il tient un salon brillant où se presse toute l'émigration russe, Sergueï Chtchoukine se tourne vers les peintres français, principalement impressionnistes et postimpressionnistes. Il découvre d’abord les toiles impressionnistes en 1898 chez Paul Durand-Ruel, célèbre galeriste parisien, qu’il achète par dizaines. Peu à peu, il plonge plus radicalement dans la révolution picturale : il se confronte aux tabous de son temps, comme celui du nu à travers Matisse, Gauguin, Denis, acquiert ses premiers Picasso. Chtchoukine se passionne pour Henri Matisse, chef de file encensé et honni des fauves qui font sensation au Salon d'automne de 1905; ce dernier crée spécialement pour lui en 1909-1910 deux panneaux décoratifs pour l'escalier de son palais: "La Danse" et "La Musique". Chtchoukine collectionne à rebours de son époque, contre son goût et celui de son milieu. Près de 250 acquisitions parmi les plus audacieuses en Europe ! En 1908, le collectionneur ouvre son palais au public. Il invente le musée d’art moderne et crée un véritable art de la scénographie, dans lequel les tableaux sont accrochés en un parcours sensible et didactique. Avec cette ouverture, il contribue à la formation des avant-gardes russes, Malévitch, Rodchenko ou Larionov qui y découvrent et s’inspirent des maîtres modernes. Longtemps occultée pour des raisons idéologiques, la collection Chtchoukine restait méconnue du grand public. Nationalisée sous Lénine puis rejetée comme symbole de l’art bourgeois par le régime stalinien, elle est dispersée en 1948 et n’a depuis jamais été réunie. Avec le concours du musée Pouchkine à Moscou et du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, "Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoukine" à la Fondation Louis Vuitton est une première mondiale pour avoir réuni autant de pièces de la collection originelle, avec un ensemble significatif de 127 chefs-d’œuvre des maîtres impressionnistes, postimpressionnistes et modernes. En véritable parti pris, l’exposition confronte les maîtres modernes aux artistes majeurs de l’avant-garde russe, racontant l’histoire de la collection autant que son impact. La fondation Vuitton a réussi son pari : restituer sa place, centrale dans l’histoire de l’art moderne, à la collection Chtchoukine. Visiter une telle exposition, découvrir en un regard autant de chef-d’oeuvres n’arrive qu’une fois dans sa vie. Cela explique en grande partie le succès de cette exposition qui a battu tous les records de fréquentation à l’époque, en accueillant plus d’1,2 millions de visiteurs. Fort de ce succès, l’exposition est entrée au panthéon, en place n°3, des expositions les plus visitées de l'Histoire muséale.